Pour la plupart d’entre nous, les émotions n’ont pas leur place dans notre milieu de travail. Elles sont un signe de faiblesse et un phénomène indésirable. Elles peuvent être acceptables dans des relations intimes, mais pas avec des collègues.
Pourtant, elles existent ! Que nous y consentions ou non, il nous arrive, dans des situations particulièrement importantes, de devenir émus, blessés, fâchés, joyeux, inquiets, excités, etc. Comme nous l’avons vu dans « À quoi servent les émotions ? » nos réactions émotives sont non seulement inévitables, mais elles sont également nécessaires à notre adaptation. Leur utilité essentielle consiste à nous informer sur nos besoins importants et combien ils sont satisfaits.
En choisissant d’ignorer nos émotions, nous mettons notre vie en déséquilibre. Si c’est au travail que nous refusons de les ressentir, c’est notre vie professionnelle qui en souffre principalement. Mais d’autres dimensions de notre vie vont également être atteintes éventuellement : santé physique, relations avec les proches, plaisir de vivre, etc.
Ce que je vous propose dans cet outil, c’est de mettre nos émotions à la tâche : de leur faire jouer leur rôle pour contribuer à notre bien-être, à notre satisfaction et à notre adaptation aux situations de vie que nous rencontrons.
En conséquence, notre satisfaction et notre efficacité au travail seront optimisées. Il s’agit donc de faire travailler nos émotions pour nous en leur donnant une place et un rôle adéquats dans les situations quotidiennes de notre vie professionnelle.
La place des émotions sur le lieu de travail
Lorsqu’il est question de faire une place aux émotions sur notre lieu de travail, nous imaginons immédiatement des éclats de colère ou des crises de larmes. Nous pensons à des situations où les émotions prennent le dessus et débordent alors que la personne qui les éprouve ne veut pas qu’elles paraissent.
Il faut comprendre que ces « crises émotives » sont le résultat du refus des émotions et non leur manifestation normale. Si je repousse toutes mes réactions émotives, j’en viendrai inévitablement à une telle crise, car elle deviendra nécessaire pour me « défouler » et rétablir un certain équilibre.
C’est le but des émotions d’attirer notre attention sur des déséquilibres ; si nous les ignorons systématiquement, elles trouvent un autre moyen pour signaler qu’un problème existe. Comme je l’ai souligné dans l’outil « À quoi servent nos émotions ? », le débordement émotif est un des premiers moyens que notre organisme utilise. Si nous persistons à ignorer le déséquilibre, nous en viendrons éventuellement à être affligés d’angoisse, de dépression et de problèmes physiques.
Si au contraire je tiens compte de mes émotions dès qu’elles apparaissent, elles garderont une intensité raisonnable et demeureront contrôlables. Mais pour que cette option soit acceptable, il me faudra trouver des façons « adaptées au lieu de travail » de faire une place à mes émotions.
A) Les pièges de l’évitement
« Je n’ai plus l’énergie que j’avais pour aller travailler ; je me traîne au travail comme à l’échafaud. »
« Je n’arrive pas à me concentrer sur ce projet qui me tient à cœur ; on dirait que je suis devenu indifférent. »
« Je deviens anxieux dès que je pense à cette réunion ; j’ai envie de me mettre en arrêt de maladie. »
« Dès que je pense à mon patron, je deviens confus ; je n’ai plus d’idée et je me trouve débile. »
Ces exemples semblent relativement anodins : ce sont des réactions qu’on observe fréquemment et auxquelles on n’accorde pas tellement d’attention. Pourtant, chacun peut cacher un problème majeur qui, si on n’y trouve pas de solution, engendrera une situation de crise. Vous croyez que j’exagère ? Examinons-les ensemble pour voir…
Manque d’énergie ou d’enthousiasme
« Je n’ai plus l’énergie que j’avais pour aller travailler ; je me traîne au travail comme à l’échafaud. »
C’est ce que disent souvent les personnes qui sont au seuil du burnout. C’est un indice de la révolte de notre organisme contre la façon dont nous le traitons dans le travail.
Si je suis généralement attentif à mes réactions émotives, je saurai bien plus tôt que j’abuse de moi, de ma résistance, de ma santé. Je sentirai en moi un conflit fréquent entre mes besoins personnels et ce que je considère comme mon devoir.
Il me sera plus facile de trouver un moment opportun pour tenir compte de ma fatigue croissante et y trouver des solutions non seulement dans l’immédiat, mais également à plus long terme. Je trouverai une nouvelle façon d’organiser mon travail et de définir sa place dans ma vie. J’éviterai le burnout éventuel et tous les inconvénients qui l’accompagnent.
Si je suis moins attentif mais que j’accepte de prendre mon manque d’énergie au sérieux, je pourrai encore éviter le burnout. Pour cela, il faudra que je prenne immédiatement des mesures vigoureuses pour corriger la situation.
Si j’accepte vraiment de tenir compte de mes indices, si je prends le temps d’y être attentif à partir de ce signal d’alarme, je pourrai assez rapidement découvrir le problème et sa gravité actuelle. Mais serai-je assez courageux pour apporter à ma situation de travail les changements qui s’imposent ?
Manque de concentration ou de motivation
« Je n’arrive pas à me concentrer sur ce projet qui me tient à cœur ; on dirait que je suis devenu indifférent. »
C’est souvent ce que constatent les personnes qui n’osent s’avouer l’importance de leur déception devant les résultats de leurs efforts. Cette difficulté est la première étape vers un désinvestissement plus général qui atteindra l’ensemble de la personne.
Le résultat pourra ressembler à une dépression aiguë.
Si je suis habituellement attentif à ce que je ressens, il est probable que je ne me rendrai jamais à cette réaction dépressive, ni même à ces difficultés de concentration ou de motivation.
Bien avant, j’aurai constaté que mes efforts ne m’apportent pas ce que j’en attends. J’aurai bien plus tôt l’occasion de rechercher une façon plus efficace d’obtenir les satisfactions auxquelles j’aspire. Je pourrai, si mon insatisfaction est inévitable, choisir de désinvestir de ce projet pour consacrer mes énergies à un domaine plus rentable.
Même si je n’ai pas l’habitude d’accorder de l’importance à mes réactions émotives, je peux choisir de considérer mon manque de concentration ou de motivation comme un signal d’alarme. Il n’est pas trop tard pour examiner sérieusement ma situation et tirer les conclusions qui s’imposent.
Par exemple, je peux constater que la qualité de mon travail ne semble pas appréciée, que les commentaires de mon patron sont trop souvent négatifs, que l’obstruction d’un collègue m’enrage, etc.
Il est encore temps de choisir comment je veux tenir compte de ces frustrations qui s’accumulent : demander une évaluation formelle de mon travail, vérifier si mon patron est réellement insatisfait de ma performance, interroger mon collègue sur la nature de ses objections fondamentales, ou encore désinvestir, confronter, refuser de continuer sans un meilleur appui, etc.
Anxiété ou tentation d’éviter
« Je deviens anxieux dès que je pense à cette réunion ; j’ai envie de me mettre en arrêt de maladie. »
Nous avons tous vécu des situations de ce genre : celles dont la pensée suffit à nous rendre anxieux. Mais il est plus rare que cet inconfort aille jusqu’à faire apparaître la maladie comme une solution attrayante.
C’est le signe que nous ne croyons plus être capables de faire face aux réactions que provoque en nous cette situation. L’évitement nous apparaît alors comme la seule solution viable. Pourtant, nous savons bien qu’une absence ne résoudra rien et que le problème demeurera entier pour la fois suivante.
Si j’ai l’habitude d’être attentif à ce que je ressens, je sais déjà quelles sont les émotions que cette situation m’amène à vivre. Même si elles sont désagréables ou inconfortables, elles ne me rendront pas anxieux (mal sans savoir pourquoi). Je serai plutôt habité par mon expérience véritable : inquiétude, tristesse, colère, excitation, joie, désir, amour, envie, etc.
En y consacrant un peu de temps et d’attention, avec une attitude réceptive, je saurai rapidement en quoi ce qui se passe dans cette situation est important du point de vue de la satisfaction de mes besoins importants. Il deviendra vite possible de choisir comment en tenir compte dans ma façon d’agir et de m’exprimer avec mes collègues et partenaires.
Par contre, si je suis peu porté à accorder de l’attention à mes émotions, je peux être habité par l’anxiété. C’est le signe que j’adopte régulièrement l’évitement comme solution : je refuse les émotions qui se présentent et je tente de les repousser
Il est encore temps, lorsque l’anxiété et la tentation de fuir la situation nous habitent, de retrouver nos indices intérieurs en accueillant ce que nous ressentons.
Il faut y consacrer une attention suffisante et le temps nécessaire. On peut retrouver assez facilement les émotions et les préoccupations qui se cachent derrière l’anxiété pourvu qu’on le veuille vraiment et qu’on accepte les réponses qui surgiront, quelles qu’elles soient.
C’est le refus des réponses spontanées qui maintient l’évitement et l’anxiété. Une attitude accueillante nous fera rapidement découvrir les émotions qui sont en cause. En prenant ces émotions au sérieux, nous découvrirons bientôt les enjeux importants qui se dissimulaient à nous et nous pourrons choisir comment en tenir compte.
Confusion et vide
« Dès que je pense à mon patron, je deviens confus ; je n’ai plus d’idées et je me trouve débile. »
Voilà une réaction fréquente devant les personnes à qui nous accordons une grande importance. Elle peut se manifester autant devant la collègue particulièrement attirante que devant l’expert que nous admirons ou le patron que nous voudrions impressionner.
Dans tous les cas, c’est le fait de vouloir dissimuler nos réactions qui est responsable du vide et de la confusion. Nos efforts pour repousser les manifestations de ce qui est intensément présent sont tellement forts et efficaces, qu’ils font disparaître tout ce qui nous habite.
Si j’accorde beaucoup d’importance à mes sentiments et mes émotions, il est improbable que je me retrouve dans une telle situation. Je ne repousserai pas assez mes réactions pour qu’elles deviennent aussi invisibles et confuses.
Je serai peut-être embarrassé d’accorder autant d’importance à cette personne, mais je ne serai pas tenté de me le cacher à moi-même. Si je choisis de le cacher à cette personne, je serai gêné, retenu, intimidé ou porté à rougir, mais je n’éprouverai pas cette sensation de vide et je ne serai pas confus.
Quel est l’avantage de remplacer la confusion par la gêne ? Apparemment, il n’y a pas tellement de différence de qualité entre ces deux expériences inconfortables.
Pourtant, il existe une différence fondamentale entre les deux : dans la confusion ou le vide, je ne suis pas en possession de moi. Mon expérience personnelle est absente de ma conscience et elle m’échappe. Une dimension importante de ce que je vis m’est étrangère. Au contraire, dans le cas de la gêne ou de l’inhibition, je sais ce qui m’habite et j’en connais l’importance ; mon problème en est un d’expression.
Je ne veux pas exprimer ni laisser voir ce que je sais être réel et important. Dans ce cas, je suis encore en possession de moi. Je peux, à tout moment, changer ma façon d’agir pour retrouver l’harmonie entre ma vie intérieure et mon expression.
B) Ressentir pour s’informer
Tous ces exemples ont un point en commun. Chacun souligne la première façon d’utiliser nos émotions : les ressentir. En effet, il suffit de prendre soin de les ressentir pour obtenir une information importante et précieuse sur notre situation du moment.
Plus nous demeurons attentifs à ce que nous ressentons, plus nous sommes en mesure de tenir compte de ce qui nous importe le plus et moins nous risquons les conséquences souvent graves qui surviennent si on n’en tient pas compte.
L’avantage de cette façon de tenir compte de nos émotions, c’est qu’il peut demeurer complètement confidentiel aussi longtemps que nous le voulons. Si nous prenons soin de demeurer attentifs à nos émotions, elles nous apparaissent clairement dès qu’elles prennent un peu d’importance ou d’intensité, alors qu’elles sont encore faciles à contrôler.
Nous pouvons donc en faire ce que nous voulons : en prendre note pour nous en occuper au moment qui nous conviendra, en tenir compte pour voir plus clair dans la situation, les exprimer immédiatement, prévoir un moment pour les communiquer à l’autre, etc.
C’est nous qui décidons ce que nous voulons en faire et quand nous voulons le faire. C’est le bénéfice direct que nous obtenons si nous restons régulièrement attentifs à nos émotions. Elles deviennent claires assez tôt pour que nous puissions choisir la façon de leur faire de la place.
C) Accueillir pour comprendre
Plus nous sommes dans des situations complexes ou dans des relations où nos interlocuteurs dissimulent une partie importante de leur point de vue ou de leurs motifs, plus nos émotions deviennent utiles pour nous aider à comprendre ce qui se passe.
Bien des gens croient que nos émotions nous aveuglent et nous empêchent de bien nous adapter aux situations. Mais en réalité c’est le contraire qui est vrai : c’est le fait de repousser sans cesse les émotions qui rend aveugle et inadapté.
Mais pour que nos sentiments et nos émotions nous aident à comprendre les situations complexes, il est nécessaire d’y être attentifs d’une façon particulière. Il ne suffit pas, dans ces conditions, d’attendre qu’elles apparaissent d’elles-mêmes ; il faut être plus accueillant afin qu’elles livrent toute la richesse de leur message.
« J’ignore pourquoi, mais je ne me sens pas à l’aise avec cette personne. »
« Il a beau dire qu’il apprécie ma contribution, je n’arrive pas à me sentir apprécié. »
« Il dit qu’il me soutient, mais je me sens méfiant. »
« Je ne comprends pas pourquoi je me sens attiré par lui ; nous ne parlons que du dossier. »
Voici une série d’exemples où mes réactions émotives m’indiquent qu’il y a des dimensions de la situation que je décèle sans les percevoir clairement. On pourrait parler d’intuition, mais en réalité il s’agit de sentiments subtils que j’éprouve en réaction à ce que je sais sans en être vraiment conscient. Ces expériences sont plus fréquentes qu’on veut bien le croire et il suffit de s’y arrêter pour en bénéficier.
Souvent, en effet, nous pouvons comprendre ce qui se passe entre nous et un collègue bien avant d’avoir tous les éléments pour y parvenir. Il suffit d’être vraiment attentif aux subtilités de nos réactions émotives face à cette personne ou dans les situations où nous la côtoyons.
Nous pourrons, à travers nos sentiments et nos réactions émotives subtiles, avoir des indices pour découvrir que les sourires ne sont pas sincères, que les encouragements ont des objectifs cachés, que les consensus sont faux ou fragiles, etc. Nous saurons également, de façon intuitive, que nous avons la confiance, l’affection ou l’estime d’un collègue.
C’est donc en étant volontairement attentif et réceptif aux subtilités de mes réactions émotives que j’obtiens des indices qui viennent enrichir et éclairer ma compréhension de la situation, surtout dans ses dimensions interpersonnelles.
Certaines personnes sont plus habiles à ressentir ainsi les subtilités de leur vie émotive et elles peuvent s’en servir facilement. D’autres ont peu développé cette habileté, mais elles peuvent apprendre si elles choisissent des moyens adéquats.
Comment être ainsi réceptif ? C’est relativement simple
- être attentif à ce que je ressens,
- être prêt à accueillir ce que je découvre,
- laisser à ces impressions subtiles le temps nécessaire pour qu’elles deviennent claires.
Par cette attitude accueillante, je fournis à mes sentiments les conditions nécessaires pour qu’ils m’informent des aspects que je ne voyais pas encore clairement. Les mêmes situations m’amèneront alors à me dire :
« Je sais que quelque chose n’est pas clair entre nous, même si j’ignore quoi. »
« Je suis sûr qu’il n’est pas d’accord avec ce que je fais, même s’il prétend le contraire. »
« Je sais que je ne peux pas compter sur son soutien. »
« Nous avons beau nous cacher derrière le travail, je le désire et je sais qu’il y réagit. »
POUR TERMINER
Nous avons vu ici comment nos émotions peuvent nous servir à nous informer sur notre situation et à nous y adapter. Nous avons vu aussi comment nos réactions plus subtiles peuvent nous aider à mieux percevoir la situation en y décelant des dimensions qui ne sont pas encore explicites.
Mais le plus important, c’est que l’attention à nos réactions émotives permet de prévenir un grand nombre de problèmes. Nous faisons place à nos besoins plutôt que de nous épuiser, nous adaptons notre comportement plutôt que de perdre notre motivation.
Cette attention nous permet également de savoir ce qui nous affecte plutôt que d’être envahis par l’angoisse ou la confusion. En somme, nous récupérons des outils essentiels à notre adaptation en remplacement d’expériences de détérioration.
Ces utilisations de nos émotions dans les situations de travail ne changent rien à nos façons habituelles d’agir, du moins aux yeux des autres. Tout cela se passe intérieurement, dans notre conscience de ce qui nous habite. C’est la première façon de mettre nos émotions au travail.
Je vous propose maintenant de mettre cet outil en pratique: soyez attentif à ce que vous ressentez dans les situations de travail et accueillant face à ce que vous y découvrez.
Analysez vos émotions avec les outils de Gestion des Émotions que vous avez à votre disposition. Ces outils « marchent » si vous les faites « marcher ».
Vous identifierez mieux ce que vous ressentez, vous comprendrez mieux pourquoi et en l’exprimant, vous développerez vos compétences et vos relations interpersonnelles dans le sens de la sérénité et du lâcher-prise.
Comme toujours, je suis à votre disposition pour en parler. Il n’y a que vous qui puissiez le faire, mais…vous n’êtes pas obligé(e) de le faire seul(e) !!
Olivier Kramarz
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